La Naissance du récit fut publié en 1992 par l'imprimerie de Cheyne (43400, Le Chambon-sur-Lignon, ,04.71.59.76.46), dans la collection Grands Fonds. Cet ouvrage regroupe 18 proses répartie en 5 sections : Histoires qui n'en sont pas, Variations sur l'absence, Premier tissage, Feuillets d'enfance, La Naissance du récit.96 pages sur bouffant Lucerne.
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Ici
le mât ………………………………………………………………………………………………… Voix douce mais voix d’homme, de rude pêcheur
serrant ses rames entre ses doigts. Et qui pouvait chanter SOGNO (MA PER SE NO), le soir, près de sa barque bougeant à peine, ou adossé
au mât, quand il voyait, comme s’il était ailleurs
(ou comme Ulysse rêvant aux dieux faisant la paix), que quelque
chose qui n’avait aucun nom – malaisément nommé
silence – couvrait toute la terre. Ainsi quand des épaules
se mettent sur une corbeille d’enfant, alors précisément,
ne voyant rien de ce qu’elles couvrent, on doit imaginer que dort
un petit front sans pli dans la plus grande paix, à moins que la
confiance munie de deux prunelles regarde, comme la Durée offerte,
rien d’étranger, on le croit. Parfois, il s’arrêtait comme si le sang butait
sur un caillot, puis la voix reprenait avec des hans d’épaule,
un ton au-dessus, un peu plus aiguë, peut-être, comme faisant
à rebours le chemin de la mue (quand le cœur se défait
de ces lambeaux d’hymen où deux semblent se battre) : comme
si ici, en somme, il revêtait le corps d’un autre auquel il
ne pensait qu’en sanglotant, emmuré sous les choses, qu’il
eût été, ce visage perdu, le prix, il ne savait pourquoi
si violent, de cet apaisement, et que dit, sa juste voix revenue, bien
mieux qu’un feu sa cendre sacrifiée : « Au nom
de moi, au nom de moi toujours », – si bien que la douceur
touchant la barque, ne tombant d’aucun ciel, n’était
que son saint nom prononcé par les choses et répandu sur
tout comme un amen sans fin.. Et ceux qui reconnaissent qu’avec prudence ce théâtre
est plus vrai qu’aucun autre sentent sa voix s’étendre
au loin, de continent en continent – nuit ou soleil, qu’importe
! – avec force et douceur : comme s’il n’était
pas lui ce pêcheur, mais nous depuis toujours. Car si l’un se penchait et eût assez d’amour
pour lire, derrière son front, les mots avant qu’ils naissent,
avant le seuil, oui, où s’affale ce qu’ils disent,
il verrait bien sur cette page apparaître (comme l’eau du
soir, parfois, s’arrête pour figurer la paix) : « Tout
est là, que cherchons-nous ? C’est là depuis toujours. »
Mais n’est-ce pas trop dire, et trop vite ridicule ? – Il
conviendrait déjà de tout reprendre à ce point-ci
(et ce serait non la fin d’un récit mais toujours son début),
ou en tout cas d’écrire, au lieu de paix : « Ce
qui existe à cet instant ne connaît pas la peur. » |
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